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Un autre tourisme est possible
Au sud-est de Maurice, pêcheurs, skippers et opérateurs de bateaux se sont donné le mot pour soutenir les efforts de conservation de la biodiversité de la Mauritian Wildlife Foundation et s’engager sur la voie durable de l’écotourisme.
« Auparavant, quand j’allais sur ces îlots, je causais quelques dégâts sans m’en rendre compte, je ne me posais même pas de question. Quand j’y pense, j’en rougis. »
Ces propos de Rosemonde Nobin, 66 ans, femme pêcheur à Bois-des-Amourettes, en disent long sur la transformation des mentalités qui a lieu depuis 2017 dans la région du sud-est de Maurice.
Tout a commencé par une décision de la Mauritian Wildlife Foundation (Mauritian Wildlife) d’impliquer les usagers des îlots du sud-est — l’île aux Mariannes, l’île de la Passe, l’île aux Fouquets (aussi connue comme l’île au Phare), l’île aux Vacoas et l’île aux Aigrettes — dans ses efforts de conservation. Il s’agit ici de skippers de bateaux de plaisance qui transportent principalement des touristes sur ces sites exceptionnels pour des excursions en mer, mais aussi de pêcheurs de la région, d’opérateurs de bateaux et d’officiers de la National Coast Guard.
La Mauritian Wildlife s’occupe de la conservation des espèces endémiques qui vivent sur ces îlots en collaboration avec le National Parks and Conservation Service, le Forestry Service et le National Heritage Fund. Ces trois agences gouvernementales gèrent, entre elles, les cinq îlots susmentionnés.
Mais au fil des années et des efforts, les membres de la Mauritian Wildlife réalisent que quatre problèmes en particulier entravaient leurs efforts. Comme l’explique Benoit de Lapeyre, de la Mauritian Wildlife, « nous travaillons avec du vivant ; la population des espèces endémiques sur ces îlots est encore trop petite pour être résiliente. Or, puisque ces îlots sont utilisés par des particuliers, ils peuvent détruire des années de travail s’ils ne sont pas conscientisés. Nous avons donc décidé de les impliquer dans la protection de ces îlots parce que cela les concerne directement et qu’il s’agit de leur gagne-pain ».
En effet, des centaines de bateaux y déposent des visiteurs tous les jours, en leur proposant une visite et une grillade sur place.
Or, le manque de conscientisation des skippers, opérateurs de bateaux et autres utilisateurs aux travaux de conservation qui ont lieu sur ces îlots menace la survie de certaines espèces qui y sont présentes.
Rosemonde résume bien la situation :
« Ces îlots ont toujours fait partie de notre vie. Nous y allons souvent pour pique-niquer ou pour camper », explique-t-elle, ajoutant que faire un feu pour un barbecue était pour eux une activité normale.
« Je ne me rendais pas compte que c’était dangereux, de même que le fait de laisser traîner des bouteilles en plastique sur l’île mettait les animaux en danger. »
Cette réalisation vient quand, au fil d’une formation, les skippers et pêcheurs comprennent à quel point le manque de sensibilisation pouvait nuire à ces espèces. La session s’est déroulée en trois étapes — d’abord un survol de l’histoire de ces îlots, des espèces endémiques, ainsi que des efforts de la Mauritian Wildlife et des autorités pour les sauver. Puis, les participants ont entrepris une visite guidée à l’île aux Aigrettes pour comprendre comment marche la conservation. Ils ont ensuite visité les autres îlots pour voir de plus près les dégâts causés.
« Il y a eu un sursaut de conscience », affirme Benny Henry, assistant de projet pour le programme de protection de la biodiversité des ilots du Sud à la Mauritian Wildlife, qui leur a expliqué comment, par exemple, en marchant n’importe où, les touristes et autre visiteurs piétinent des espèces sans s’en rendre compte. Et qu’en allumant des feux, ils prennent le risque de causer des incendies, comme celui qui avait ravagé l’un des îlots en 2011.
« Ils ont compris que la destruction de ces îlots représentait la destruction de leur gagne-pain », dit-il.
La prise de conscience est telle que ce sont les skippers eux-mêmes qui trouvent des solutions aux problèmes qui leur sont énumérés.
« Ils ont investi dans des grills portatifs pour ne plus faire de feu sur les îlots, ils ont proposé d’aménager des sentiers pour éviter que les visiteurs piétinent les espèces et ils se sont portés volontaires pour faire passer le message aux autres» , raconte Benny. Ce message est simple : remportez vos déchets avec vous, ne laissez surtout pas traîner les bouteilles en verre ou en plastique. Assurez-vous, avant de quitter les îlots, qu’aucune espèce ne s’est faufilée dans vos sacs.
La transformation est radicale. Les skippers, qui ont chacun reçu un badge d’Eco Skipper de la Mauritian Wildlife après les sessions de formation, se font non seulement ambassadeurs des îlots auprès des visiteurs, mais aussi guides.
Christophe Emmanuel Hermance est de ceux-là. Ce skipper de 40 ans se retrouve maintenant à ralentir son bateau quand il passe devant chacun de ces îlots. Fort de sa connaissance nouvellement acquise, il régale les clients de leur histoire, comment ils se retrouvent aujourd’hui à être les rares endroits qui portent toujours la biodiversité originelle de Maurice. Il explique aussi comment, si chacun fait sa part, ces endroits et ces espèces seront préservés.
« Cela a donné une autre dimension à mon travail en le valorisant. Je ne suis plus un simple skipper, je suis aussi devenu un guide », dit Christophe fièrement.
Comme lui, d’autres skippers et pêcheurs s’approprient la cause.
Et les résultats ne se sont pas fait attendre. Christophe Jauhangeer, opérateur de bateaux, a vu son chiffre d’affaires boosté depuis que ses skippers se sont transformés en guides.
« Les touristes sont très contents d’avoir un guide comme skipper. Quand ils descendent sur les îles, ils sont contents de savoir qu’en faisant attention, eux aussi contribuent à ces efforts. Mais surtout, la formation de la Wildlife nous a permis d’ajouter de nouvelles offres à nos excursions. Aujourd’hui, on ne propose pas qu’une tournée à l’île aux Cerfs, mais aussi des visites des autres îlots avec des explications sur l’histoire de Maurice et de ses animaux », dit-il.
Les responsables de la Mauritian Wildlife cachent mal leur satisfaction quant au succès du projet. Initialement, ils pensaient toucher une centaine de skippers. En un an et demi, ils ont formé près de 400 personnes. En outre, les demandes pour d’autres sessions de formation abondent, venant même de la National Coast Guard.
La réussite de ce programme est telle qu’elle est porteuse de beaucoup d’espoirs pour la Mauritian Wildlife.
« Si les gens ont l’information qu’il faut et réalisent que la perte de notre biodiversité va mettre en péril leur gagne-pain, alors ils se sentent alors plus concernés. Et de pouvoir, à leur tour, passer le message aux autres, est valorisant pour eux parce qu’ils s’impliquent également dans la sauvegarde de leur patrimoine naturel », affirme Benoit.
L’idée est maintenant d’élargir ce type de formations à d’autres endroits de l’île, plus particulièrement aux utilisateurs des îlots du nord, où des travaux de conservation sont aussi en cours.
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